Description
J’arrive à Ivry-sur-seum en 2009 dans un secteur de la ville désertique, coincé entre Vitry-sur-saigne et Kremlin-Biceps. Je travaille comme cadreur dans les soirées électro pour mon ami filipe alves, propriétaire du «bien », il me glisse dans cette appartement qui va changer ma vie. Rien que pour moi, il rénove pendant 6 mois l’appartement laissé des années à l’abandon.
-Tu vas être bien ici.
Je profite encore de la vie parisienne dans mon palace de 13 mètres carrés à quai de la Rapée. La misère sous la fenêtre, la gare de Lyon pas loin. Mon parcours de logement est chaotique. J’ai vécu chez maman, chez ma copine, chez mon studio d’enregistrement, chez mes potes, chez mon cousin en Normandie et finalement, à bout de souffle, chez moi. Quand j’arrive dans le 94, je suis un parisien déclassé qui mange tous les soirs au grec. A la maison, je n’ai pas encore les plaques de cuisson. De ma fenêtre, il n’y a ni tramway, ni commerce, ni restaurent dans cette zone. Que des maisons d’ouvrier, ici on fabriquait des briques, on construisait des cités en brique, on mangeait des briques. Un matin, l’œil collé par morphé, j’ouvre mon volet et aperçois le haut d’un panier de basket. Ce petit terrain en brique rouge, sans filet, les lignes quasi effacées, au sol meurtrier qui vous arrache la peau lorsque vous tombez sera la clef de mes nouvelles amitiés. J’aime cette banlieue communiste, rouge depuis toujours, bloqué dans les années 90. Je me rappellerai toujours de ma première entrée « Chez Karim », un grec minuscule avec une salle grande comme ma salle de bain. Je passe le pas de la porte et au fond, je vois un blanc, la trentaine, cheveux noir gominés couleur jais, polo Lacoste, graine de café, Stan smith aux pieds. J’ai pris un ascenseur temporel en n’étant qu’à trois petits kilomètres de la capitale. Personne ne me dévisage ni ne me calcule. Ivry est un village de béton, les histoires sont rares, les bizness courants, les travailleurs partout. Les cinq continents cohabitent comme si la terre ne les avait jamais séparés.
J’ai 32 ans, mes potes parisiens ne passent pas le périphérique pour me voir à ivry, mes potes banlieusards font aussi peu d’efforts, ma famille est loin. Ma copine Céline, banlieusarde dans l’âme, est la seule à venir sans flipper. Je rage les premiers temps mais fait vite des rencontres déterminantes en jouant avec des chinois venus de la Guadeloupe et l’équipe de la cité de monmousseau. Un joueur de 17 ans, Thierry, un chinois géant au gabarit impressionnant deviendra un de mes meilleurs amis. Pour lui, son frère, ses amis, je suis un o.v.n.i. qui traverse leur ciel ivryen. Un « adulte » n’est pas censé être aussi libre de son temps, faire autant de sport, traîner avec des petits, vivre de sa passion. Un adulte c’est chiant, stressé et débordé par la vie, absent pour les ados, n’est-ce pas ?
Cette photo d’ivry date de 2023. C’est une photographie prise au téléphone depuis l’ensemble architectural Jeanne hachette (merci moly & rude, mydo). Je voulais absolument monter sur les toits pour y faire un beau cliché, au final j’ai peins sur une photo prise depuis la coursive du dernier étage, orientée vers la cité Voltaire, le 13ème au loin. La lumière était parfaite, le soleil calé dans mon dos nourrissait de ses photos la nature exubérante de ce mikado de béton géant, pensé par Jean Renaudie. Quand je suis arrivé à Ivry, Thierry m’avait conseillé de ne jamais me balader dans ce labyrinthe au dédale inquiétant.
-C’est dangereux.
Ange heureux que j’étais dans ma ville, il m’a fallu 14 ans pour y être finalement invité. La photographie peinte et l’art en général sont des outils de dépassement de ses peurs, une force motrice mentale et physique. Le concept de l’œuvre est de rendre hommage à un certain nombre de personnes issues ou ayant traversé ma ville depuis sa création. J’ai « gravé » leur nom sur des bâtiments, non pas de façon aléatoire mais thématique. De gauche à droite, l’immeuble des chanteurs, puis celui des graffeurs, des amis, des sportifs, des écrivains, des résistants. Mes signes sont quasi absents du panorama de cette ville emblématique du Val-de-Mort. J’ai pris beaucoup de plaisir à faire des recherches historiques, repeindre en bleu et en jaune Jeanne Hachette, dessiner une façade pour Luc Abalo ou Richard Combas.
J’ai moins saturé l’espace qu’à l’accoutumé, l’architecture envahie par la nature fait tellement le travail visuellement que j’ai allégé ma composition pour laisser respirer au maximum les lignes de force créées par tous les bâtiments. Par cette œuvre, je remercie la ville pour le le bien-être qu’elle m’offre au quotidien depuis tant d’années. Elle est le berceau de ma transformation ; de réalisateur, cadreur, monteur, au peintre, photographe et écrivain que je suis devenu aujourd’hui. Quelle belle reconnaissance que ma création se retrouve en double page dans le journal de la ville en cette rentrée de septembre 2023. Merci ma ville !